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LA PRESENCE MANJAK DANS LE MONDE

Communication de Raymond Mendy, Professeur d’Histoire et Géographie au Centre Académique d’Orientation Scolaire et Professionnelle de Ziguinchor, au Premier Colloque International Manjak sur le Thème « La réconciliation du Peuple Manjak avec lui-même, le rôle de ses intellectuels dans l’actualisation de son histoire et sa présence dans le Monde ».

Pour comprendre l’histoire du peuple Manjak dans son intégralité et, par conséquent, sa présence dans le monde, il faut lever l’équivoque sur l’identité des Grumétes.

En effet, les premiers Manjaques lorsqu’ils sortaient de leur terroir, ne déclinaient pas leur identité manjaque par mesure de sécurité pour eux et pour leur royaume. Ils se présentaient en pays étranger sous le générique de « Gruméte »ou « Grumétù ».Or pour nos voisins Diola, Manding, Wolof et Sérére, le terme « Gruméte » désigne tout simplement les « Chrétiens » en général et les « Catholiques » en particulier. Toutefois, ils distinguent le « Portuguisse» qui désigne les métis Cap-Verdiens du «Gruméte» dont ils ne précisent pas cependant l’origine de Guinée Portugaise. En pays manjaque et en langue Manjakù, « Grumétù » ou « Gruméte » porte le sens d’ « Explorateur ». En effet il désigne les Manjaks qui quittaient leurs royaumes pour découvrir des contrées inconnues et qui étaient tenus de revenir au bercail pour présenter à leurs Rois le récit de leur séjour et les gains engrangés au cours de leur périple. Ils renseignaient ainsi le Roi des rois sur tout ce qui bouge à l’extérieur pour lui permettre de prendre des mesures sécuritaires.

On peut considérer donc les Grumétes dans le
système sécuritaire des royaumes manjaks comme un service de renseignement qui développa la stratégie d’ « espionner pour mieux résister »permettant à l’Empire Manjakù de Bassarel (d’autres parlent de la Confédération des Royaumes Manjak) de résister à l’assaut des puissances étrangères africaines et européennes jusqu’en1914.
Ainsi, si nous identifions les Grumétes en les assimilant aux Manjaks provenant de la Guinée Portugaise, on pourra aisément comprendre le rôle joué par la Communauté Manjaque dans l’histoire de la Guinée Portugaise, du Sénégal et de la Gambie et même de l’Outre-Mer où ils sont souvent cités dans les documents et archives historiques. Par conséquent, le débat ainsi campé, on peut distinguer quatre générations de « Manjak /Gruméte » :
-La génération précoloniale ;
-La génération coloniale ;
-La génération sous le système colonial ;
-La génération de l’après indépendance

A. DURANT LA PERIODE PRECOLONIALE

Pendant la période précoloniale, les Manjaks voyageaient par groupe d’une dizaine d’individus. Dans les pays traversés ou d’accueil, ils ne déclinaient pas leur identité ethnique. Mais ils se présentaient sous le générique de « Gruméte »ou « Grumétù ». Sous la couverture d’activités économiques comme l’agriculture, la maçonnerie, la récolte de vin de palme ou la coupe des régimes de palmier (pour cela les Manding nous appelaient « konkugnio ») et le tissage, ces Grumétes étaient les yeux et les oreilles du roi en pays étrangers.

A cet effet, ils étaient prompts à improviser un retour inopiné soit en groupe soit en déléguant un certain nombre d’entre eux pour apporter des informations à chaud ainsi que leurs gains au Roi. Les économies consistaient essentiellement en monnaie en vigueur (or, cauris) mais aussi des tissus et du bétail. Les informations apportées au Roi étaient relatives à la force militaire des pays voisins, les plans d’invasions étrangères. Ainsi, non seulement l’Empire Manjakù de Bassarel put déjouer les invasions des Royaumes voisins et contemporains à l’instar du Royaume du Gabou et plus tard les Emirats Peuls du Fouta Djallon, mais aussi avoir des échanges commerciaux avec les royaumes du Djolof et du Cayor. Ces missionnaires en Sénégambie étaient appelés « Bajorats ». Avec ce système, jamais le pays ne fut surpris.

Au contraire il développa ses tentacules en Pays Mancagne(bula), Balante (Bissora, Binar), Papel (Biombo, Quinhamel, Intim, Intoula) et Flup (de Bolor jusqu’à l’extrémité sud de la Basse Casamance).

On évoque même à Bassarel le souvenir de ces agents qui se présentaient comme émissaires pacifiques du grand Roi des rois dont ils ne révélaient pas le nom.

B. PENDANT LA PERIODE COLONIALE

Présents en Sénégambie où ils érigent des paillottes sous des palmeraies (« kanaak »), les « Manjak /Grumétes » ne furent pas surpris par l’arrivé des Européens sur les côtes sénégambiennes à partir de 1444 à Gorée notamment.

En 1446 les Européens en particulier les Portugais abordent les côtes guinéennes avec le navigateur Nino Tristaô. L’intrusion des Portugais à Cachéu en plein pays manjak place le royaume en état d’alerte. Les Grumétes qui les rencontrent alertent Bassarel qui ordonne de les côtoyer afin de s’enquérir de leur origine et des mobiles de leur présence en pays manjak.

Ainsi, se présentant comme étrangers venus d’un pays lointain à la recherche du travail, les Grumétes vont constituer la première main-d’œuvre avec laquelle les Portugais bâtirent le fort de Cachéu en 1588. Mais au fur et à mesure qu’ils se rendent compte de la rudesse du travail servile des révoltes sont notées avec le soutien des guerriers « Banjafù » qui harcèlent régulièrement le poste de Cachéu. Menacés par le péril « manjaque /gruméte » encore appelés Pépels du nord à Cachéu et environs, les Portugais finirent par les adopter en acceptant leur rémunération au même titre que les ressortissants européens. Cela est attesté par les archives de Dakar et l’ouvrage de R. Pélissier (Naissance de la Guiné….) qui témoignent que «les Manjaques étaient la seule communauté exerçant un travail rémunéré ». Se gardant de parler publiquement la langue manjakù ils se font désignés Pépels du nord par opposition aux véritables Pépels qui occupent la partie méridionale du pays manjaque autour de Bissau créé seulement en 1692(Intim, Intula, Quinhamel). En effet les Pépels du Nord de la région de Cachéu dont il est question dans les archives du Sénégal sont de véritables Manjaks ainsi que le confesse R. Pélissier et attesté par la carte de répartition des ethnies de Guinée Bissau publiée seulement en 2002. Faisant écran entre Cachéu et l’hinterland, les Grumétes souvent soutenus par les Banjafù (guerriers qui protègent l’intérieur de l’Empire) purent empêcher quatorze puissances d’explorer le pays manjak. Elles se contentaient du commerce très florissant ici pour l’économie de plantation et pour l’industrie naissante basé sur les esclaves, huile de palme et palmiste, gomme copale, riz, arachide, carapaces de tortue, cuir, bois, cire… Elles payaient des taxes aux chefs des provinces desservies par les chalands sous peine d’arraisonnement (les documents parlent de pirates manjaques). Venus de plus en plus nombreux et de toutes les provinces de l’empire les « Manjaques/Grumétes » travaillèrent pour les puissances et compagnies commerciales comme domestiques, guides, matelots, laptots, soldats et même pilotes de chalands plus tard. Ainsi commença une longue période à la fois de résistance avec les Banjafù et de compagnonnage avec les Grumétes en adoptant la stratégie « d’espionner pour mieux résister » face à celle de l’Occident de « diviser pour régner ».

Avec les Banjafù, l’hinterland connait la sécurité tandis qu’avec les Grumétù, les Manjaks échangent avec les comptoirs sénégambiens, découvrent les grands ports européens et parfois le reste du monde en même temps que les Européens. C’est la période des « Bapaat » et des « Bataats » (récolteurs de la gomme copale. Pour cette activité les Bnouncks les appellent « gnamalina »). Les Grumétù étaient accueillis périodiquement en grande pompe à coups de canon(« Upessa ») dans la cour du Grand Roi de Bassarel où ils apportaient informations, richesses et savoir-faire de l’Occident : diversité des Européens, habits et vins, utilisation et maniement des armes à feu. Hors du pays manjak, les Grumétes sillonnent des comptoirs de Guinée créés après Cachéu comme Bissau, Bolama, Farim et sénégambiens tels Carabane , Ziguinchor, Bathurst, Gorée, Rufisque, Saint-Louis. Finalement ils se greffent à certaines communautés autochtones où ils prennent épouses : c’est le cas des Bnouncks et les Cassa à Ziguinchor et Carabane, des Séréres à Foundiougne et Joal, Lébous ou Wolofs à Gorée, Dakar, Saint-Louis. Ils se métissent même avec les Européens particulièrement les Portugais et les Français.

C. SOUS LE SYSTEME COLONIAL

Pendant ce temps en Guinée Portugaise, la mission des Grumétes demeurait d’empêcher le contrôle systématique du pays manjak. De connivence avec les Banjafù, ils animent une farouche résistance au cours de laquelle s’illustra un certain Uba GTIS . En effet ,après avoir combattu pour la défense des capitales des provinces de Pelunde, Bula, Chur, Bianga, Canchungho avec les Banjafù de Bassarel, Uba GTIS organisa la défense de Bassarel. Prévenu par les Grumétes d’une imminente attaque de la capitale de l’ Empire Manjakù par les colons assistés de mercenaires Angolais, Mozambicains ainsi que du Sénégalais Abdu Inj et ses hommes, Bassarel se barricade derrière une forteresse de piquets de bois avec des tranchées derrière. Des silos souterrains sont aménagés pour stocker et sécuriser des vivres, les épargnant de la destruction.

Défendue par 10000 combattants, la capitale est prise le 10 Avril 1914 à la suite d’une double trahison de Antony Pëpej et Kantambeng qui livrèrent aux assaillants la stratégie défensive.

Après la conquête, une vague de répression s’abat sur les familles des grumétes et des Banjafù. Uba Gtis et une bonne partie des résistants s’exilent en Casamance et en Sénégambie. Mais le leader des Banjafù reviendra plus tard à Bassarel au vu et au su des autorités coloniale qui ne l’ont plus inquiéter jusqu’à sa mort à Balombe vers 1960.

Cependant la brutalité du systèmecolonial portugais qui se caractérise par la rigueur des travaux forcés et la lourdeur des impôts contraignent les manjaks à la migration vers les pays limitrophes où ils s’activent dans les cultures de rente et les nouveaux métiers (peinture, couture…) Les Grumétes déjà installés dans les villes s’y fixent définitivement. Mais ils se méfient des nouveaux migrants qu’ils soupçonnent à tort ou à raison d’être à la solde des nouvelles autorités. Car ceux d’entre eux qui rentraient étaient publiquement tabassés s’ils n’apportaient pas argent, vêtements, vin, tabacs comme au paravent. Ils constituent la génération des « Ndiago Bourer » c’est à dire ceux qui ont coupé le cordon ombilical avec le pays manjak.

D. APRES LES INDEPENDANCES

Lorsque le Sénégal et la Gambie accèdent à l’indépendance, la Guinée demeure sous le joug colonial. Le système répressif continue de pousser à l’exil. Ces exilés sont perdus dans l’océan des grandes capitales où ils ne parlent pas souvent la langue : c’est la génération des « Ndiago Boubess » qui doit se débrouiller pour survivre et entretenir la famille restée au pays. Dakar, Banjul et Bissau deviennent des points de transit incontournables pour faire fortune ou regagner l’Occident. La solidarité périclite. Chacun travaille pour son propre compte et au profit de sa seule famille tout au plus.

CONCLUSION

La diaspora manjaque a connu plusieurs générations. Mais, si les premières ont joué un rôle avant-gardiste dans la sauvegarde de l’autonomie et la lutte anticoloniale, les secondes sont constituées de migrants forcés ou volontaires répondant à des besoins ponctuels .

Contribution du Professeur Raymond Mendy au Premier Colloque International Manjak à l’Université Assane Seck de Ziguinchor les 18 et 19 Octobre 2019, sur le sous thème « La Présence Manjak dans le Monde », le Thème global s’intitulant : « La réconciliation du Peuple Manjak avec lui-même, le rôle de ses intellectuels dans l’actualisation de son histoire et sa présence dans le Monde »